I.          Ni une carte ni un dessin. Un discours.

La fiabilité du dessin ne constitue toutefois pas une clé de lecture suffisante pour interpréter le paysage. Selon l’auteur et le contexte, le même paysage pourrait être peint à une autre échelle, suivant une composition différente. Qui est l’auteur de la carte ? Maîtrise-t-il ce type d’exercice ? Procède-t-il à des schématisations ? Comment a-t-il identifié et représenté chacun des éléments ? En d’autres termes, il nous faut maintenant comprendre la nature de ce qui a été peint en étudiant le processus de création de la vue figurée.

1.     Un processus de création standardisé

Le procès-verbal de la cour de Parlement nous réserve là une nouvelle surprise : le processus de création de la vue figurée fait l’objet d’une maîtrise aboutie et d’une rapidité exécution hors normes de la part de la cour. Un processus en quatre étapes :

1.      Le choix des auteurs (peintre et arpenteur)

2.      La visite des lieux et la réalisation du croquis

3.      La validation du croquis par les témoins

4.      La finalisation et mise en couleur de la vue

 

Le vendredi 22 septembre 1525, se tient la première audience de la cour de Parlement. Le commissaire et les parties s’accordent en quelques minutes sur un peintre qui pourra réaliser la vue. Nom proposé, à la volée, par l’un des consuls de Castelferrus présent dans la salle. Une lettre de convocation est écrite et acheminée le jour même par un sergent à Moissac avec le commandement de ramener le peintre à Castelsarrasin. Malgré des travaux en cours, le peintre abandonne toutes tâches courantes et se présente dans l’après-midi devant le commissaire qui lui fait immédiatement prêter serment de sincérité et d’indépendance.

Le lendemain, la cour se déplace à Saint-Aignan pour identifier les témoins à qui vont être soumise la vue figurée pour approbation. Et dès le surlendemain, la première visite des lieux commence pour le peintre, l’arpenteur et la cour. On remarque que les travaux de la cour ne s’interrompent pas le dimanche. Toute la journée est consacrée à la présentation de Saint-Aignan et des routes alentours jusqu’à l’entrée du village de Castelferrus. L’inspection n’est interrompue que par la nuit :

La visite reprend le matin suivant, lundi 25 septembre 1525, dans Castelferrus, pour achever le repérage des lieux, le dénombrement des maisons et les mesures de distances.

Les visites sont à peine terminées que déjà, le mardi 26 septembre, l’arpenteur présente ses mesures de distances au commissaire. Et dans la même journée, le peintre présente à la cour et aux parties adverses le premier jet de la vue figurée :

« Et le dit jour, une heure apres Mydi, aux parties assignées en nothre logis, (…), le Johan Lemesque paintre nous a exhibee la figure quil avoit faicte de nothre mandement pour icelle accorder[1]. »

Ainsi, moins de quatre jours après sa convocation, au terme de deux jours de visites ininterrompues en présence de la cour, le peintre est en mesure de produire sa carte. La vue qu’il présente alors est un dessin au fusain, sans couleurs, ne représentant que les deux villages de Castelferrus et Saint-Aignan. La partie gauche de la carte avec le hameau des Esclapats n’y figure pas encore. Une fois les « parties et leurs procureurs quy ont icelle accordée de tous pointz ainsi quest figuré », « le paintre le mestra au nect et avec couleurs condescentes [2]. ».

La vue figurée de Castelferrus et Saint-Aignan est donc une réalisation extrêmement rapide, probablement dessinée en extérieur, en cours de visite. La mise en couleur aura été réalisée le lendemain soir après le processus de concorde entre les parties. Cela explique la plupart des imperfections de l’ensemble et pose la question de ce que le peintre a effectivement eu le temps d’observer de ses propres yeux.

 



[1] ADTG H230 – Procès-verbal, Feuillet n° : XC verso – Photo n° 327.

[2] ADTG H230 – Procès-verbal, Feuillet n° : XCVIII verso – Photo n° 335.

1. Pas un inventaire visuel exhaustif

La visite des lieux qui s’étale sur deux journées est le moment fort de la procédure. La présence du seigneur de Terride [1], suzerain de Castelferrus, lors de la première journée confirme cette importance. Compte tenu du délai entre la fin de la visite et la présentation de la carte aux parties, le peintre ne trace sur la carte que la synthèse de ce qu’il a perçu au cours de ces deux jours de visite.

Or le peintre est en permanence accompagné d’un représentant de chacune des parties qui lui présentent les lieux. Ces derniers dénombrent les maisons, précisent les matériaux de construction, donnent le nom des propriétaires, le nom des arbres ou des juridictions, montrent le parcours d’écoulement des ruisseaux. Le peintre est manifestement influencé par des éléments dont l’importance est brusquement accentuée par l’une des parties.

Le trait du peintre est donc guidé par ce que ses yeux voient d’une part, des paroles des parties sur lequel il fait confiance pour compléter son dessin, d’autre part. Dans ce contexte, le parcours de la vue et les intérêts des deux parties sont des éléments fondamentaux, profondément constitutifs de la vue figurée de Castelferrus et Saint-Aignan.

A partir du texte du codex, nous pouvons reconstituer, sur la vue figurée, le parcours effectué par le peintre et ses accompagnants. Cette représentation va nous permettre d’analyser ce qu’il a vu de ces yeux et ce qu’il a déduit, ou ce qu’on lui a dit.

 

 



[1] ADTG H230 – Procès-verbal, Feuillet n° : XLIX verso – Photo n° 28.

Le trait bleu clair sur la carte reconstitue le trajet suivi par le peintre lors des deux journées de visites. Les traits bleus foncés représentent le parcours suivi lors de visites complémentaires demandées par le commissaire pour vérifier les canaux d’écoulements des eaux de la montagne et la distance des Esclapats à Castelferrus.

Ainsi peut-on conclure que les tracés des villages, des chemins les reliant et des ruisseaux descendant de la montagne jusqu’à la Gimone sont particulièrement exacts puisqu’ils ont été approuvés par les parties et visuellement constatés par le peintre.

En revanche les collines, les vignes, le chemin de Garganvillar, les terres marécageuses en dessous de la Gimone ainsi que le carrefour vers Castelmayran n’ont probablement pas fait l’objet de la même vérification. Ils ont été probablement décrits oralement par les procureurs des parties, au peintre qui les a retranscris.

 

Nous remarquons que les zones visitées correspondent exactement à la région de la carte dont l’échelle est homogène et la projection verticale. C’est le cœur du plan et sa partie la plus précise.

Le Le trait bleu clair sur la carte reconstitue le trajet suivi par le peintre lors des deux journées de visites. Les traits bleus foncés représentent le parcours suivi lors de visites complémentaires demandées par le commissaire pour vérifier les canaux d’écoulements des eaux de la montagne et la distance des Esclapats à Castelferrus.

 

Ainsi peut-on conclure que les tracés des villages, des chemins les reliant et des ruisseaux descendant de la montagne jusqu’à la Gimone sont particulièrement exacts puisqu’ils ont été approuvés par les parties et visuellement constatés par le peintre.

En revanche les collines, les vignes, le chemin de Garganvillar, les terres marécageuses en dessous de la Gimone ainsi que le carrefour vers Castelmayran n’ont probablement pas fait l’objet de la même vérification. Ils ont été probablement décrits oralement par les procureurs des parties, au peintre qui les a retranscris.

Nous remarquons que les zones visitées correspondent exactement à la région de la carte dont l’échelle est homogène et la projection verticale. C’est le cœur du plan et sa partie la plus précise.